Bu 武 signifiant "mettre fin à la violence".
Shi 士 signifiant "celui qui a le savoir par l'apprentissage"
Do 道 signifinat la voie, comme dans judo
De ces trois idéogrammes, on retrouve le terme de Bushido, traduit en français par "la voie du guerrier".
La notion est apparue alors que les samourais se battaient de plus en plus violemment et sans raison (au sens de raisonnement, réflexion).
L'objectif du bushido est de canaliser cette animosité grandissante en donnant des lignes de conduite moral à suivre.
Le Bushido a instauré 7 lignes de conduite à suivre :
Je vais reprendre aujourd'hui les réflexions sur l'origine des termes que nous utilisons régulièrement dans la pratique par l'analyse de iaï et ses corollaires, tachiaï, iaïdo, iaïjutsu. Je développerai ensuite en abordant brièvement l'histoire du iaï et celle des katakiuchi, vengeances du Japon traditionnel...
"Iaï" est un mot composé de deux caractères, "i" et "aï". Il est lui-même
utilisé en combinaison pour former les mots "iaïdo" et "iaïjutsu".
Le premier kanji utilisé dans iaï, i, est composé de deux parties. La
partie supérieure symbolise le corps, tandis que la partie inférieure
représente une tête ou un crâne couronné, partie évoquant ce qui est
ancien. Ce premier caractère évoque aussi l'idée de barrière, une
barrière entourant un corps suggère alors ici l'idée... de chaise. Mais
si la chaise a été utilisée en Chine depuis plusieurs siècles ce n'est pas
le cas du Japon qui ne l'adopta réellement qu'à l'époque moderne. Ce
premier caractère utilisé au Japon convie donc l'idée d'être assis
mais... par terre.
Le second kanji, aï, est le même que celui utilisé pour écrire Aïkido.
Une explication de son origine est l'image d'un couvercle sur un trou.
Il contient alors des notions telles qu'hermétique, superposition, unité.
En Aïkido on insiste beaucoup sur la notion d'harmonie mais ce sens
n'est pas si évident lorsque l'on étudie l'origine de ce caractère. En tout
état de cause le sens d'unité est bien plus présent que celui
d'harmonie dans sa construction. Cela peut aussi nous amener à
reconsidérer le sens de notre pratique en intégrant par exemple l'idée
de superposer notre ki sur celui de l'autre personne, de l'englober. Il est
alors important de revoir l'origine et les différentes significations
possibles de ki, terme que nous avons déjà étudié dans un précédent
numéro.
"Au", qui devient "aï" dans les mots composés, est donc la rencontre,
la superposition, l'unité même temporaire de deux choses, deux sabres
dans le cas de la pratique martiale.
Si iaï véhicule l'idée du combat assis, "tachiaï" est son pendant, le combat debout. Tachiaï est aussi composé de deux caractères. Le premier, tachi, représente un homme debout. Le second est le même que le deuxième caractère de iaï. Tachiaï est un terme qui est aujourd'hui surtout utilisé en Sumo et désigne la charge initiale entre les combattants. Il est aussi présent dans le nom de nombreuses techniques martiales, notamment en Daïto ryu.
Iaï est un terme qui nous intéresse surtout parce qu'il forme la
première partie des mots Iaïdo et Iaïjutsu, disciplines que nombre
d'entre nous étudient ou ont étudié. Nous avons déjà abordé le
caractère do, qui signifie voie. Jutsu signifie quand à lui technique.
La différence entre les budos et les bujutsus est un débat qui occupe
les chercheurs martiaux. Je crains que ce soit malheureusement une
question sans issue définitive puisque le même mot peut recouvrir des
conceptions différentes selon le maître qui l'emploie. Pour simplifier
nous dirons que le Iaïjutsu insiste plus sur la finalité technique tandis
que le Iaïdo, sans renoncer à la cohérence martiale, porte plus son
attention sur le fait d'éduquer l'homme.
Techniquement le Iaïdo consiste à dégainer et couper, généralement
dans le même geste. Comme nous l'avons vu le terme iaï évoque entre
autres le fait d'être assis. Le Iaïdo comprend ainsi, bien que cela
puisse varier selon les écoles, un très grand nombre de katas qui
débutent dans cette position et qui forment la base de la discipline.
A l'origine le iaï semble avoir été pratiqué exclusivement en position
debout. C'est au cours des siècles que les différentes écoles ont peu à
peu intégré le travail à partir de la position assise, suivant en cela le
courant de l'histoire. En effet si au départ les techniques ont été
élaborées en temps de guerre, la longue période de paix de l'ère Edo
créa une situation où les combats étaient de plus en plus des attaques
surprises et de moins en moins des confrontations de type duel. Les
traditions martiales s'adaptèrent donc aux circonstances les plus
fréquentes.
Un grand intérêt du travail assis est que les contraintes supplémentaires amènent le pratiquant à développer des capacités qui rendent
ensuite le travail debout bien plus aisé. En ce sens la logique est la
même qu'en Aïkido ou Daïto ryu.
Une étude des denshos, rouleaux de transmission technique des
écoles traditionnelles, révèle que les techniques de dégainage
représentaient environ 30% du cursus. Le reste était consacré au
kenjutsu, les techniques de combat le sabre une fois dégainé. Cela est
tout à fait logique dans la mesure où les écoles anciennes avaient un
objectif pragmatique, assurer la survie de ses membres. Sachant qu'il
était probable que la coupe lors du dégainage ne suffise pas à tuer à
coup sûr son adversaire à chaque fois et que l'on pouvait avoir à faire
face à de multiples ennemis, il est naturel que les samouraïs aient
consacré une plus grande partie de leur temps à ce type de travail.
Si le travail de la coupe dans le dégainage exista probablement avant
le 16ème siècle, notamment en Katori Shinto ryu, c'est Hayashizaki
Jinsuke, né Hojo, qui fut le principal artisan de son développement en
systématisant sa pratique. La vie de Hayashizaki est auréolée de
mystère et comme avec tout personnage mythique il est très difficile
de faire la part entre légende et réalité. Voici quelques éléments que
la tradition rapporte.
Né selon les sources entre 1542 et 49, il disparaît vers 1621. Son père
ayant été assassiné dans son enfance, probablement lorsqu'il avait
deux ans, il fut élevé par sa mère dans le but de retrouver ses
meurtriers afin de laver l'honneur de sa famille. A l'âge de 21 ans il se
retire au temple Hayashizaki dont il adoptera le nom, afin de se
consacrer à la pratique martiale. Durant ce type de retraite appelé
sanro l'adepte s'immerge totalement dans la pratique au péril de sa
vie. Pratiquant jour et nuit sans répit durant une période de 21 jours
beaucoup périssaient d'épuisement. Cette sorte d'entraînement nous
paraît aujourd'hui incroyable mais c'est grâce à un investissement sans
compromis de ce type que sont nées nombre de traditions martiales
japonaises les plus célèbres.
Arrivant au terme de son séjour Jinsuke, au paroxysme de l'épuise-
ment, est au bord de la folie. La légende raconte qu'un tengu vient
alors à sa rencontre... Les tengus, créatures mythiques du Japon
ancien, sont des monstres à forme humaine et au long nez ou à bec
d'oiseau. Ils vivent dans les montagnes, sont généralement maléfiques
et maîtres en arts martiaux
Jinsuke, assis, mourant, voit le tengu s'approcher de lui et dégainer
son sabre pour l'attaquer. Jinsuke redresse alors son sabre et bloque
l'attaque grâce à sa tsuka avant de pourfendre le monstre en
dégainant et coupant dans le même geste... Il nommera l'école qu'il
créera par la suite Muso Shinden ryu que l'on peut grossièrement
traduire par "l'école de la transmission divine reçue en rêve".
Une autre version de la création de l'école rapporte que c'est un
homme à la longue barbe qui vint à la rencontre de Jinsuke au bout de
21 jours et lui révéla l'importance d'une longue tsuka.
L'histoire ne donne pas plus de détails sur le katakiuchi, la vengeance
de Hayashizaki Jinsuke. On peut toutefois supposer que compte tenu
de son niveau il a pu faire justice à son père. J'ai voulu aborder le
katakiuchi parce que cette tradition japonaise est en rapport direct
avec Takeda Sokaku, le principal maître de Ueshiba Moriheï, et nous
ramène aux racines de l'Aïkido.
A l'époque féodale le Japon était divisé en une cinquantaine de
régions. Les déplacements étaient extrêmement surveillés et
beaucoup ne quittaient jamais les terres qui les avaient vu naître.
Toutefois, dans le cas où votre famille était victime d'un assassinat, il
existait le système de katakiuchi. Ce système permettait à certaines
conditions aux membres survivants de la famille de se faire justice. Le
seigneur délivrait alors un passeport qui autorisait son détenteur à
traverser les provinces jusqu'à ce qu'il ait accompli sa tâche.
Le katakiuchi est une tradition qui a donné lieu à de nombreux récits
de par son caractère hautement tragique. Certaines histoires
racontent des quêtes éperdues durant parfois plusieurs décennies afin
de rétablir l'honneur d'une famille. Parfois en vain...
Ce qui suit n'étant fondé sur aucune preuve, je vous invite à ne prendre
cela qu'en tant que pure spéculation de pratiquant cherchant à
comprendre le personnage incroyable que fut Takeda Sokaku.
Dans le milieu des arts martiaux, certains supposent que Takeda
Sokaku aurait été la cible d'un katakiuchi et que c'est la raison pour
laquelle il serait parti à Hokkaïdo. Quels sont les éléments qui ont pu
mener à cette supposition ?
Tout d'abord, alors que certaines périodes de sa vie sont très bien
documentées, il existe à peu près une décennie pendant laquelle
Takeda disparaît avant de réapparaître à Hokkaïdo. Qu'a-t-il fait durant
cette période ? A-t-il poursuivi son musha shugyo, son tour du Japon
à la rencontre des grands adeptes de son temps ? S'est-il retiré pour
pratiquer à l'écart du monde ? N'a-t-il pu être mêlé à un incident grave
qui donnera lieu à un katakiuchi, lui qui garda un tempérament si
"original" jusqu'à ses derniers jours?
Ensuite pourquoi serait-il parti à Hokkaïdo, terre si désertique que le
gouvernement japonais payait les volontaires pour s'y installer, alors
que son niveau lui aurait permis de vivre confortablement en
enseignant dans n'importe quelle île plus habitée du Japon ?
Pourquoi craignait-il tant d'être assassiné au point qu'il ne laissait que
ses plus proches disciples lui préparer sa nourriture et qu'il n'y
touchait qu'après qu'ils l'aient eux-mêmes goûtée. Si l'on peut
attendre de tout budoka qu'il soit vigilant, Takeda est le seul connu
pour de telles extravagances. Le récit de Mochizuki Senseï de sa
rencontre avec Takeda Sokaku éclaire encore ce côté paranoïaque.
Mochizuki Minoru raconte qu'un jour, alors qu'il s'était retrouvé seul
au dojo d'O Senseï, un vieillard serait apparu suivi d'un homme. Celui-
ci, chauffeur de taxi lui demanda de lui régler sa course. Lorsque
Mochizuki lui demanda pourquoi il ne l'avait pas demandé au vieil
homme, il raconta effrayé qu'à la gare ce dernier avait tué d'un geste
soudain un chien qui aboyait vers lui avec un shikomizue, une canne
épée.
Mochizuki Senseï se doutant d'après les récits qu'il avait entendus
qu'il avait affaire au professeur de son maître fit alors rentrer l'homme
au salon. Il lui servit du thé et des gâteaux que celui-ci n'accepta
qu'après qu'il les eut goûtés lui-même. Lui proposant ensuite de
prendre un bain il l'accompagna et l'aida à se dévêtir comme il était de
coutume. C'est alors qu'une lame nue tomba à terre! Takeda portait
en permanence une lame sans fourreau contre son corps. Cette arme
lui avait d'ailleurs probablement causé plusieurs des nombreuses
cicatrices qu'il avait sur son corps...
Ce sont tous ces éléments qui, une fois réunis, peuvent laisser supposer que Takeda Sokaku était sans doute la cible d'un katakiuchi. Produit d'une époque violente et troublée Takeda Sokaku est, plus encore que Ueshiba Moriheï, notre lien direct avec les bushis du Japon traditionnel, Japon qui vit la naissance du Iaïjutsu. Et la boucle est bouclée...